Les actualités FREDERIC JOURDEL OPTICIEN
Les lunettes anti-reflets bleus ne serviraient à rien, selon la plus large étude sur le sujet
Les lunettes et les verres traités pour filtrer la lumière bleue émise par les écrans ne serviraient à rien, selon la plus large étude jamais parue à ce sujet.
Très souvent proposées chez les opticiens, les lunettes anti-reflets bleus font la promesse de protéger nos yeux des écrans qui nous entourent. Pourtant, c'est un voeu pieux. Ces lunettes ne servent, en réalité, à rien, selon la plus large étude jamais réalisée à ce sujet. Les résultats, publiés dans la revue de référence Cochrane, ont passé au crible 17 essais cliniques randomisés, réalisés dans 6 pays différents.
Nous passons en moyenne 32 heures devant un écran par semaine selon la dernière étude annuelle de l’Arcep. Encore plus pour les personnes qui travaillent sur un ordinateur. Or, la lumière bleue émise par les écrans - télévision, smartphone et ordinateur confondus - serait nocive pour nos yeux. Cette lumière bleue, naturellement présente dans le spectre visible à certaines longueurs d’ondes (380 à 450 nanomètres), émise par les écrans, fatiguerait nos yeux et affecterait aussi la qualité de notre sommeil. D’où la mise en vente par les opticiens ou des compagnies privées de lunettes supposées filtrer ces reflets bleus. Or, après avoir examiné toutes les études les plus complètes réalisées à ce jour sur le sujet, la solide revue Cochrane n’a pas observé un seul effet bénéfique pour les utilisateurs de ces lunettes.
Ni la fatigue visuelle, ni le sommeil
"La fatigue visuelle chez les patients est mesurée avec un questionnaire ou une échelle de mesure que le participant doit compléter. Toutefois, nous n’avons pas trouvé d’information concluante sur une possible affection des yeux. Une seule étude montrait clairement qu’il n’y avait qu’un effet très léger voire pas d’effet du tout", explique à Sciences et Avenir le Dr Laura Downie de l’Université de l’Université de Melbourne et autrice de ces travaux. Idem, après avoir écumé toute la littérature à ce sujet, les données existantes sur les perturbations du sommeil "ne sont pas concluantes" et restent trop "limitées."
Pourtant, les opticiens et les compagnies qui vendent ces lunettes anti-reflets bleus promettent de réduire jusqu’à 40% de la lumière bleue perçue par les yeux devant un écran. "Les verres de ces lunettes contiennent souvent un chromophore [un film chromatique, ndlr] qui réduit la quantité de lumière bleue qui atteint l'œil. Une autre approche consiste à revêtir les surfaces arrière et avant de la lentille d'un revêtement interférentiel anti-reflet qui diminue sélectivement la transmission d'une partie du spectre de la lumière bleue", explique la spécialiste. Or ces lunettes ne filtrent que 10 à 25% de la lumière bleue.
Un manque de preuves directes
Cela voudrait-il dire que ces lunettes ne font pas assez bien leur travail et qu’elles protègent mal les yeux ? Pas vraiment. En réalité, les effets nocifs de la lumière bleue peinent à être prouvés. "Bien que la lumière bleue émise par les écrans d'ordinateur ait été supposée être une cause de fatigue oculaire, cette association reste controversée. Il y a un manque de preuves directes. Aucun mécanisme biologique clair par lequel la lumière bleue pourrait causer directement une fatigue oculaire n’a été identifié." C’est pourquoi l’organisation de médecins indépendants Cochrane affirme "ne pas soutenir" la prescription de verres qui filtrent la lumière bleue dans la population générale. En France aussi, le rapport de mai 2019 de l’Anses indique que "le niveau de risque associé à une exposition chronique à des LED riches en bleu ne peut être évalué à ce jour." En revanche, la communauté scientifique s'accorde sur le fait que la lumière bleue influence bien le rythme circadien et peut perturber l'endormissement.
Ces travaux présentent tout de même des limites. Les 17 études examinées par l’organisation indépendante Cochrane comprenaient toutes entre 5 et 156 participants, avec une durée d’un jour à cinq semaines. Les auteurs soulignent la nécessité de réaliser de plus amples études de haut niveau sur une durée plus longue avant de pouvoir tirer des conclusions plus complètes sur les bénéfices ou non à porter ces lunettes anti-lumière bleue. En attendant, la Dr Downie rappelle que la plus grosse source de lumière bleue à laquelle nous sommes exposés chaque jour provient de la lumière naturelle du Soleil. Nos appareils numériques ou de sources de lumière ne sont responsable que "d’un millième" de la lumière bleue que nous percevons.